Laura est maître de conférence droit et philosophie politique à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone. Elle est aussi membre éminente de Barcelona an Comù Global (la partie internationale) dans l’équipe en place à la mairie.
Elle expose l’aventure municipaliste et ses victoires récentes, notamment en Espagne, qui a vu de ses nombreuses villes gagnées par des citoyens locaux. Victoires qui ont amené des transformations durables sur la politique, l’économie et le paysage du pays. Tout indique que ce mouvement soit, pour la France et le reste de l’Europe, une marche indispensable pour les citoyens souhaitant reprendre en main leur destin collectif.
“De quoi exactement parlons-nous quand on évoque le «Nouveau Municipalisme» ou la «transformation municipaliste» tels que le mouvement >> « Fearless Cities » le définit ?
Dans le contexte politique actuel marqué d’un côté par la crise du néolibéralisme et de l’ancienne gauche et de l’autre par la montée de l’extrême droite, l’approche politique qui semble gagner en puissance est certainement le Municipalisme.
Bien que plus visibles en Espagne, on voit aussi des projets municipalistes se développer aux États-Unis, en Pologne, en Italie et dans certaines villes d’Amérique latine telles que Valparaíso ou Rosario, entre autres. Le rassemblement des Villes sans peur (Ciudades sin Miedo, Fearless Cities), qui s’est tenu à Barcelone au début du mois de juin 2017, a réuni plus de 700 participants venus du monde entier, soulignant l’émergence de ce nouvel agenda politique municipaliste mondial. Depuis lors, plusieurs sommets régionaux ont eu lieu dans des villes telles que Varsovie, New York, Bruxelles et Valparaiso, et le mouvement continue de progresser.
De toute évidence, le Municipalisme n’est pas une idée nouvelle. On peut retracer son histoire dans les traditions de mouvements comme l’anarchisme libertaire ou le républicanisme, et on en retrouve les thèmes récurrents dans l’histoire des mouvements urbains à travers le monde entier. Même aujourd’hui, en Espagne, des partis centrés sur le niveau de l’état – tels que Podemos {parti populiste de gauche né du mouvement 15 M} et le Partido Popular {le parti de droite au pouvoir} – parlent du municipalisme comme s’il y avait un problème que tout le monde identifie, avec la « justice » ou la « liberté ».
Mais de quoi exactement parlons-nous quand on évoque le « Nouveau Municipalisme » ou la « transformation municipaliste » tels que le mouvement « Fearless Cities » le définit ?
Il y a ceux qui suggèrent que le Municipalisme signifie simplement « autogouvernement local », ce qui implique que les villes devraient avoir la capacité de décider de leurs propres affaires. D’autres affirment qu’il s’agit davantage d’une stratégie politique qui privilégie l’action locale par rapport aux autres niveaux.
En réalité, le Municipalisme vu des Fearless Cities englobe ces deux idées, considérant qu’elles se complètent : gagner et renforcer les gouvernements locaux n’est qu’un élément d’une stratégie politique plus large fondée sur la construction du pouvoir par le bas, à la fois au sein et à l’extérieur des institutions.
Cependant, quel contenu ce Nouveau Municipalisme offre-t-il, au-delà de ces deux notions ? Quel est ce Municipalisme qu’ils défendent ?
Des plateformes uniques
Premièrement, il faut bien souligner la façon dont ces initiatives construisent des plateformes politiques spécifiques, qui reflètent bien les diverses sensibilités du tissu social et politique à un instant précis, et sont en mesure de répondre aux problèmes locaux en tenant compte des circonstances locales. Au lieu d’être une branche d’un parti national, chacune de ces plateformes s’identifie et est identifiée par les autres comme un acteur politique indépendant. Cela signifie que, même si ces plates-formes municipalistes s’autorisent à collaborer avec d’autres acteurs, partis ou plates-formes, de manière formelle ou informelle, elles préserveront avant tout leurs propres priorités, leurs propres membres et leur forme politique spécifique.
Deuxièmement, ces organisations proclament que les gouvernements locaux ne sont pas simplement la plus basse marche de l’administration de l’État, mais qu’ils ouvrent un espace pour l’autogouvernance. Ces plates-formes municipalistes réclament le transfert de compétences et de ressources au niveau local, de telle sorte que les décisions qui nous concernent à Barcelone, par exemple, ne soient plus prises à Madrid ou au Parlement Européen, mais localement, directement par les personnes qui auront à en vivre les effets. Par exemple, si nous devons nous attaquer aux problèmes de logement ou de pollution, nous devrions disposer des outils nécessaires pour lutter contre Airbnb ou pour restreindre l’utilisation de la voiture particulière dans les centres-villes.
Troisièmement, et c’est un additif important pour le point précédent, cet autogouvernement doit représenter un radicalisme démocratique. Il ne suffit pas de plaider pour une autonomie locale avec un programme de gauche, mais il faut plutôt que le pouvoir local soit exercé de manière radicalement démocratique.
Comme Debbie Bookchin l’a déclaré lors de la réunion de Fearless Cities en 2017, «le Municipalisme ne consiste pas à mettre en œuvre des politiques progressistes, mais à rendre le pouvoir aux simples citoyens ». En fait, le municipalisme est apparu dans de nombreux endroits précisément en réponse au manque de démocratie au sein des institutions publiques et des partis politiques traditionnels. Par exemple, de nombreuses candidatures municipalistes utilisent des processus ouverts et participatifs pour développer leurs programmes politiques réellement « d’en bas », en s’appuyant sur l’intelligence collective de la population.
Un autre exemple est la mise en œuvre de réformes des mécanismes de participation locale par les gouvernements municipalistes : plates-formes décisionnelles numériques, budgets participatifs, capacité de lancer des scrutins et des consultations à l’initiative des citoyens, etc. On part ici du principe que, si nous ne sommes pas capables de mettre en place des processus qui donnent aux gens ordinaires le pouvoir d’agir à l’échelle locale, comment pourrions-nous le faire à une échelle « plus élevée » ?
Insiders et outsiders
Quatrièmement, les initiatives municipalistes mettent en question la rupture nette entre « l’intérieur et l’extérieur » de l’institution locale, tout en acceptant qu’il doit également exister une tension productive entre ces deux espaces. Dans de nombreux cas, l’organisation des candidatures municipalistes provient des mouvements sociaux, menant activistes et simples citoyens à se présenter aux élections.
Certains suggèrent que cela risque de “décapitaliser” les organisations de mouvements sociaux (puisque les militants et leur énergie basculent vers l’institution et les nouvelles plateformes politiques), ou qu’après les succès électoraux, la nécessité de faire pression sur les gouvernements « amis ». n’apparaît plus très judicieuse.
Au contraire, le Municipalisme des « Fearless Cities » a bien compris que la capacité d’action institutionnelle dépend de la mobilisation sociale de la rue ; nous devons ouvrir les institutions aux citoyens et nous mettre en mesure de répondre aux critiques des mouvements sociaux. C’est pourquoi le Municipalisme favorise à la fois les « pressions de la rue » et l’ouverture des mécanismes de prise de décisions au sein des institutions locales afin que les mouvements puissent avoir un impact plus important sur les politiques de la Ville.
Cinquièmement, le municipalisme des Fearless Cities est féministe. Féminiser la politique signifie:
a) la parité hommes-femmes dans tous les espaces, actes et rôles;
b) des programmes politiques luttant contre un système patriarcal qu’on retrouve dans les structures institutionnelles et les politiques publiques;
c) changer notre façon de faire de la politique: briser la séparation entre le «public» et le «privé», horizontaliser le processus décisionnel, abandonner les approches conflictuelles et mettre l’accent sur le commun et le relationnel et accueillir la diversité comme un élément naturel de la politique plutôt qu’une anomalie.
Sixièmement, le Municipalisme dont nous parlons n’est pas une paroisse, mais plutôt un horizon internationaliste ou mondial. Il y a, dans le Nouveau Municipalisme, la conscience que ce qui nous affecte au niveau local dépend en grande partie de ce qui se passe à d’autres niveaux, qui vont des régions à l’état-nation et au reste du monde.
Du coup, il faut reconnaître également aux municipalités la responsabilité et la capacité de se confronter aux grands problèmes mondiaux, ce qui suppose qu’organisations municipalistes et gouvernements doivent se soutenir mutuellement afin de se renforcer à d’autres niveaux. C’est précisément pour cette raison que le mouvement Fearless Cities travaille en réseau au niveau global.
Enfin, il faut bien préciser que la transformation Municipaliste ne marche pas que dans les grandes villes, mais également dans les districts, les quartiers et les petites municipalités. De plus, chaque plate-forme municipaliste sera confrontée à des contradictions et à des difficultés propres et ne pourra pas appliquer ces principes à 100%.
Pourtant, aucune d’elle ne craint de le revendiquer : cet idéal utopique sert de guide pour nourrir l’autocritique et la réflexion politique en cours.
Une des raisons en est que reconnaître la faillibilité du projet politique municipaliste tout en défendant une approche basée sur l’apprentissage par la pratique, c’est bien une manière de « féminiser la politique ».
C’est paradoxal et beau à la fois. Pour en savoir plus, je vous invite à nous suivre
Autant le RIC, à l’échelon national, permet de faire prendre des décisions directement par le peuple républicain, qu’à l’échelon local, le municipalisme m’effraie un peu en déconstruisant l’unité de la République. Les différentes étapes de la décentralisation ont autonomisé peu à peu divers échelons et on perçoit déjà dans le pays, des inégalités même au sein d’un même département, selon les compétences acquises et surtout selon la richesse des territoires. Je crains que le municipalisme n’accélère ces disparités et ne rompe un peu plus encore le pacte républicain devant assurer l’Egalité de tous les citoyens. Autant je serais pour un retour à plus de pouvoirs dans les communes (en supprimant les intercommunalités, afin de rapprocher réellement les citoyens des centres de décisions pour leur quotidien), que je suis réservé sur le municipalisme..